Sommaire

Préface

I . Le Schiste de Burgess

II . Les interprétations

III . Les implications

Tableau chronologique de la réinterprétation des espèces du Schiste de Burgess

Références bibliographiques

 

 

 

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I . Le Schiste de Burgess

1 - Le Site du Schiste du Burgess

Situation géographique

Le Schiste de Burgess se trouve dans les Montagnes Rocheuses Canadiennes, à la frontière orientale de la Colombie britannique.

La carrière de Walcott se situe à près de 2400 mètre sur la pente occidentale de la montagne qui va du mont Field au mont Wapta. Le Schiste de Burgess est situé dans le Yoho National Park, non loin des centres touristiques de Banff et de Lake Louise. La Canadian Pacific Railway traverse la montagne et fait que le Schiste de Burgess se trouve aux portes de la civilisation : la ville station ferroviaire de Field se trouve à quelques kilomètres seulement du site.

De nos jours, on peut aller en voiture jusqu'aux chutes de Takakkaw, puis grimper les 1000 mètres de dénivellation jusqu'à la montagne de Burgess, par un sentier long de 6à7 km sur le flanc N.-O. du mont Wapta. A l'époque, Walcott dut faire appel à des chevaux de bât et réalisa ses fouilles dans des conditions relativement faciles et sans effort logistique exceptionnel.

Mécanismes de conservation

Walcott découvrit ses spécimens dans une couche du Schiste de 2m à 2.50m d'épaisseur, qu'il surnomma la " Couche à Phyllopodes " (terme d'origine latine : " pied en forme de feuille " et ancien nom d'un groupe de crustacés marins présentant des rangées de branchies en forme de feuillage sur l'un des rameaux de leurs pattes). Walcott leur attribua ce nom en raison d'un des organismes de Burgess le plus courant : Marella, qualifié de " crabe aux dentelles " en raison de ses branchies. Selon les études ultérieures, Marella n'est ni un crabe ni un Phyllopode, mais l'un des Arthropodes du Schiste de Burgess.

Depuis l'époque de Walcott, on a recueilli d'autres fossiles à corps mou à d'autres niveaux stratigraphiques et dans d'autres lieux de site. Mais nul site n'approche en diversité la couche à Phyllopodes, qui a fourni la majorité des espèces de Burgess.

Des études récentes ont permis l'analyse géologique de cette zone complexe, et d'avancer un monde de dépôt de la faune de Burgess : Les animaux figurant dans le Schiste vivaient probablement sur des talus de boue, accumulés au pied d'une muraille massive presque verticale, appelée " La Cathédrale ". Il s'agissait d'un récif formé par des algues calcaires (les coraux n'existaient pas encore !) ; Ces talus étaient en eaux pas très profonde, bien éclairés et bien oxygénés et par conséquent, devaient abriter comme tout lieu de ce type, des faunes marines diversifiées. Un bon éclairement et une bonne oxygénation favorisent certes la diversité de la faune, mais garantissent l'intervention rapide des charognards et une décomposition rapide. La haute conservation, sous forme de fossile, implique donc le fait que ces animaux à corps mou aient été emportés ailleurs.

Une des hypothèses la plus probable est que les talus de boue, entassés au pied de la muraille, devinrent trop gros et donc instables, et engendrèrent des " courants de turbidité " qui provoquèrent le glissement de coulées de boue, emportant les organismes de Burgess vers le bas, en direction des bassins limitrophes, stagnants et en anorexie. Une autre théorie prône pour le dépôt de ces sédiments à la base d'une pente douce.

Certaines observations confirment ce mode de conservation : la distribution très localisée des fossiles prouve qu'il y eut probablement coulée de boue ; très peu de spécimens ont été sujet à la décomposition, ce qui signifie que l'enfouissement a été rapide ; L'absence d'activité organique dans les couches de Burgess conforte l'idée que les animaux qui y sont présents ont été recouverts de boue, une fois morts.

Histoire de la découverte

La légende raconte que la découverte du Schiste eut lieu par hasard : à la fin d'une saison de fouilles, le cheval de Mme Walcott glissa en descendant le sentier et détacha d'un de sabot un bloc de pierre qui contenait un crustacé étrange datant du Cambrien Moyen. Et la neige commençant à tomber, Walcott et sa famille durent attendre impatiemment l'arrivée du Printemps pour rechercher la roche mère, source du bloc. (Mais cette légende est totalement contredite par les propres écrits journaliers de Walcott. Où est la vérité ?)

Walcott aurait découvert la couche à Phyllopodes le 31 Août 1909 et serrait restés sur la montagne jusqu'au 7 septembre 1909, puis de 1910 à 1913, il approfondit la couche à Phyllopodes. Le résultat de cette recherche est la découvrte de près de 80.000 spécimens, qui se trouvent actuellement à Washington, au Muséum National d'Histoire naturelle de la Smithsonian Institution. De retour à Washington, Walcott publiait les articles où il décrivait les fossiles de Burgess, mais ne réalisait aucun travail de réflexion, de reconsidération.

2 - La vie avant Burgess

L'histoire de la vie n'a pas suivi un développement continu mais a subi des périodes d'extinctions massives, parfois instantanées, suivies de périodes de diversification. L'échelle des temps reflète cette histoire, car les fossiles constituent le principal critère permettant de déterminer l'ordre temporel dans lequel les couches géologiques se succèdent. L'échelle des temps géologiques est divisée hiérarchiquement en ères, périodes et époques. Les plus grands événements déterminent le passage d'une ère à une autre.

Des trois changements d'ères qui se produisirent, deux se rapportent aux plus célèbres des extinctions massives :

  • Fin de l'ère Mésozoïque (Secondaire) liée à la fin du Crétacé (65 millions d'années). Les Dinosaures périrent à cette occasion, ce qui permit l'essor des grands mammifères et beaucoup plus tard, celui de notre propre espèce.
  • Fin de l'ère Paléozoïque (Primaire) correspondant à la plus grande des extinctions : élimination de 96% des espèces marines (225 millions d'années).

Lors du passage de l'ère Précambrienne (570 million d'années) à l'ère Primaire, il y a peut-être eu une extinction massive; mais le passage à l'ère Primaire est signalé par un épisode d'énorme diversification en un court laps se temps: "L'explosion cambrienne" et l'apparition pour la première fois dans les archives fossiles d'animaux multicellulaires dotés de parties dures. L'importance du Schiste de Burgess repose sue ses rapports avec cette explosion cambrienne : la faune de Burgess n'est pas contemporaine de l'explosion même, mais survient il y a 530 million d'années, avant que le processus incessant de l'extinction n'ait eu le temps de se manifester.

Donc, Burgess nous procure la gamme complète des organismes issus de ce " Big-Bang " de la vie et représente ainsi l'unique fenêtre sur le moment où naît la vie moderne dans toute son ampleur. La Terre étant âgée de 4.5 milliards d'années, la vie multicellulaire d'aspect moderne n'occupe que près de10% de cette durée. Cette remarque aboutit aux deux questions qui obsédaient Darwin et qui deviennent les problèmes majeurs de l'histoire de la vie : pourquoi la vie multicellulaire est-elle si tardive, et pourquoi les êtres complexes du début du Cambrien n'ont-ils pas de précurseurs directs et simples dans les archives fossiles du Précambrien ?

À l'époque de Walcott, le tableau de la vie précambrienne était complètement vide et par voie de conséquence, les premières traces de la vie multicellulaire correspondent aux premières traces de vie tout simplement. Certains paléontologistes, dont Walcott, suggéraient l'existence de l'ère précambrienne mais manquaient de preuves réelles pour étayer leurs avances. Mais en ce qui concernait les anti-évolutionnistes, l'absence de vie durant la plus grande partie de l'histoire de la Terre, et son apparition soudaine et sous une forme complexe, ne les choquaient pas.

Cinq ans avant la parution de " L'origine des espèces " de Darwin (1859), le géologue Roderick Impey Murchison découvrit des fossiles du début de la vie mais expliqua leur survenue par le créationnisme. Darwin émit l'hypothèse selon laquelle les archives fossiles étaient si incomplètes, qu'ils ne disposaient pas de données tangibles pour la plupart des étapes de l'histoire de la vie.

Au cours de ces trente dernières années, une riche collection de fossiles précambriens a été trouvée confirmant les prédictions de Darwin quant au pullulement de la vie avant l'ère primaire. Les plus vieilles roches sédimentaires (la série d'Isua du Groenland Occidental, datée de 3,76 milliards d'années) sont contemporaines du refroidissement et de la stabilisation de la croûte terrestre. Ces couches, les plus anciennes à pouvoir éventuellement contenir des traces de vie, sont trop métamorphosées (altérées par la chaleur et la pression), pour garder les restes morphologiques d'êtres vivants ; mais Schidlowski (1988) a récemment avancé des arguments selon lesquels elles auraient conservé la trace chimique d'une activité organique. Des stomatolites, sortes de tapis de sédiments amalgamés par l'activité des bactéries et des algues bleues, et de véritables cellules ont été trouvées dans les plus vieux sédiments non métamorphosés de la Terre, datant de 3,5 à 3,6 milliards d'années, en Afrique et en Australie (1977 et 1983 par Walter).

Pendant 2,4 milliards d'années après les sédiments d'Isua, soit presque les deux tiers de l'histoire de la vie sur Terre, tous les organismes ne furent que des unicellulaires, des procaryotes. Les cellules eucaryotes pourraient être nées d'une réunion en colonies de cellules procaryotes. L'apparition des cellules eucaryotes dans les archives fossiles remonte à 1,4 milliard d'années, mais les animaux unicellulaires ne suivent pas immédiatement dans leur sillage. L'intervalle de temps entre l'apparition des premières cellules eucaryotes et celle des premiers animaux multicellulaires est plus grand que celui qui a vu le développement de la vie multicellulaire depuis l'explosion cambrienne.

Les archives précambriennes contiennent, en fait, une faune d'animaux multicellulaires ayant précédés l'explosion cambrienne, la faune d'Ediacara que l'ont retrouve au niveau des couches géologiques de toutes les parties du monde. La vie multicellulaire pourrait avoir connu une longue histoire de complexité graduellement croissante, n'ayant laissé aucune trace dans les roches puisque nous n'avons trouvé aucune faune à corps mou dans le Précambrien. Mais cette faune est radicalement différente de celle trouvée à Burgess. Elle n'est certainement pas son ancêtre et ne résout donc pas le mystère de l'explosion cambrienne.

Au lieu d'une ascension graduelle de la complexité telle que l'avait envisagé Darwin, les 100 millions d'années qui séparent Ediacara de Burgess ont pu voir se succéder trois faunes différentes :

  • les organismes Ediacara à corps mou et en forme de grande crêpe plate ;
  • les minuscules calottes et coupes tommotiennes ;
  • la faune moderne dont la gamme anatomique maximale fut représentée à Burgess.

3- Après Burgess

Les paléontologistes ont depuis toujours accordé beaucoup d'importance aux faunes fossiles d'animaux à corps mou ; ils sont incapables d'interpréter la première faune multicellulaire à parties dures, c'est à dire la faune tommotienne. On attribue le nom de Lagerstätten (" sites-gisements ") à ces faunes à corps mou qui sont rares, mais à contribution gigantesque dans la connaissance de la vie. Trois facteurs semblent nécessaires pour qu'il y ait conservation à l'état fossile des faunes à corps mou : un enfouissement rapide des animaux morts dans des sédiments non soumis à des perturbations ; le dépôt des cadavres dans un environnement dépourvu des agents classiques de leur destruction immédiate (oxygène ou autres facteurs d'organismes allant des bactéries aux charognards, détruisant tout dans presque tous les types d'environnement sur terre) et conditions ultérieures de chaleur, de pression, de choc et d'érosion afin de minimiser la dislocation des fossiles.

Mais ces conditions favorisant la conservation permettent à peu d'organismes, voir aucun, de vivre dans les endroits inhospitaliers où elles prévalent. Les Lagerstätten sont donc liés à des circonstances rares.

La faune de Burgess est très instructive, quand on la compare aux faunes d'autres Lagerstätten exhibant des modes de disparités très différentes. Actuellement, le nombre de Lagerstätten est suffisant pour pouvoir donner un bon aperçu de la distribution de la diversité anatomique au cours des temps. La faune de Burgess nous montre une différence énorme entre la vie actuelle et celle d'un lointain passé : diversité des plans d'organisation anatomique bien plus grande que la gamme que l'on peut observer actuellement dans le monde entier. Et cette grande disparité anatomique est spécifique de la première explosion de la vie multicellulaire.