Sommaire

Préface

I . Le Schiste de Burgess

II . Les interprétations

III . Les implications

Tableau chronologique de la réinterprétation des espèces du Schiste de Burgess

Références bibliographiques

 

 

 

 

 

 

 

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Sydneyia

 

 

 

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Marrella

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Opabinia

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Orifice buccal d'Anomalocaris

Appendices d'Anomalocaris

 

 

 

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II - Les interprétations

1 - Charles Doolittle Walcott

Biographie

Charles Doolitlle Walcott naquit en 1850 et grandit près d'Utica (état de New-York) dans une famille aux revenus à peine suffisants. Il fréquenta les établissements d'enseignement secondaire d'Utica mais sans obtenir aucun diplôme supérieur. Il débuta dans la géologie en recueillant des Trilobites et en vendant ses spécimens à Louis Agassiz, le plus grand naturaliste américain. La mort de L. Agassiz en 1873, remet en doute les espoirs de Walcott de pouvoir faire des études formelles de paléontologie à Harvard. Il débuta sa carrière scientifique en 1876 comme assistant de James Hall, géologue officiel de l'état de New York. En 1879, il entra dans l'équipe des Relevés géologiques des États-Unis, en tant que géologue de terrain, pour en devenir directeur en 1894, période de crise.

Il occupa ce poste jusqu'à sa nomination à la direction de la Smithsonian en 1907. Durant tout ce temps, Walcott poursuivit activement un programme de recherche sur le terrain et de publication sur la géologie et la paléontologie des strates cambriennes. Obsédé par le problème de l'explosion cambrienne, il étudia les roches cambriennes et précambiennes dans le monde entier.

En 1909, lors de la découverte du Schiste, Walcott était le scientifique disposant le plus de pouvoir à Washington et l'un des plus grands experts mondiaux en matière de Trilobites et de géologie du Cambrien. Il mourut en pleine activité, à l'âge de 77 ans, le 9 février 1927.

La personnalité

Walcott fut l'un des scientifiques le plus important et éminent des États-Unis, grâce à ses conceptions conservatrices et traditionalistes au sujet de la vie et de la moralité. Mais malheureusement, les arrière-plans conceptuels et sociaux peuvent entraver le processus d'innovation scientifique : Walcott ne fut pas un intellectuel innovateur ; il était bon géologue, mais bien meilleur administrateur. De ce fait, Walcott (à l'exemple de Mendel) ne fut pas considéré de ses contemporains.

Sa biographie illustre l'une de ces histoires à l'américaine. Cet Américain de souche purement anglo-saxonne et aux racines rurales, fréquentait dans les trente dernières années de sa vie, les plus hautes sphères de la société à Washington (ami de plusieurs présidents des États-Unis et de grandes personnalités telles qu'Andrew Carnegie et John D. Rockefeller).

C'était un conservateur par conviction, républicain en politique (position traditionaliste en matière de société). Il n'admettait pas que l'on puisse qualifier de biologiquement inférieures des races ou des classes sociales entières et prônait un accès égal pour tous à l'éducation. Il manifesta son chauvinisme par sa haine à l'égard de l'Allemagne, lors de la première guerre mondiale durant laquelle mourut un de ses fils. Walcott se considérait comme un disciple de Darwin, mais en mettant l'accent sur des aspects différents de la théorie, et en étant attiré par des interprétations contradictoires sans pouvoir trancher. Par conséquent, sa lutte intellectuelle n'a pas abouti à quelque chose de cohérent.

Vues générales de Walcott sur l'histoire de la vie

Pour Walcott, le darwinisme signifiait que la sélection naturelle avait assuré la survie des organismes supérieurs et l'amélioration progressive de la vie selon une voie menant de manière prévisible à l'apparition de la conscience. Il insistait sur les notions de progrès et de plan dans l'histoire de la vie. Walcott ne distinguait pas le biologique du social dans son déroulement continu de la marche en avant vers le progrès : hiérarchie sans rupture des organismes et amélioration continue de la technologie humaine.

Walcott était si convaincu que le progrès est basé sur la conquête et le déplacement, que pour lui par exemple, les reptiles n'ont pas remplacé les poissons : les poissons n'ont jamais été remplacés en tant que vertébrés dominants dans les océans. Donc, les reptiles sont un groupe très modifié de poissons terrestres. Walcott croit en un parallélisme entre l'échelle linéaire du progrès par la lutte et l'ordre classique dans la taxinomie des vertébrés.

Selon Walcott, Burgess, représente une vieille faune qui ne devait comprendre qu'une gamme limitée de simples précurseurs destinés à donner plus tard des descendants améliorés. " Presque tous les animaux, vivants ou éteints, peuvent être classés au sein d'un petit nombre de catégories fondamentales ou de types morphologiques ".

D'autre part, pour Walcott, Religion et Science étaient liées. Mais cela ne représente qu'une réaction personnelle de Walcott (croisade anti-évolutionniste des fondamentalistes) ; il a essayé de trouver des réponses morales directement dans la nature, à l'image de ses pensées conservatrices sur la vie et la société. Ces idées le poussèrent à combattre la doctrine de Bryan, selon laquelle les scientifiques étaient amenés à faire une distinction entre Religion et Science, et bannir la religion des phénomènes naturels.

Efforts de Walcott pour comprendre l'explosion cambrienne

Walcolt adhérait donc au cône de la diversité croissante et exprimait dans sa globalité une impression de montée vers le haut et l'extérieur. (Arbre de Haeckel). II chercha à établir des arbres phylogéniques regroupant les animaux trouvés à Burgess. Il fit plusieurs tentatives : dans ses premiers essais, il dessine des lignes convergentes vers une souche ancestrale commune datant d'une ère hypothétique, le Lipalien. D'autre part, voulant minimiser la disparité maximale initiale, il mit chronologiquement sur la droite cinq espèces qui étaient en réalité contemporaines, et sur la gauche, il traça une ligne verticale pour montrer que la disparité augmentait après Burgess. Par la suite, les espèces contemporaines, placées à gauche selon une séquence temporelle montante, l'aident à cacher la grande disparité de cette faune.

Dans son troisième et ultime diagramme, il montre plus d'assurance : il assigne un ancêtre commun - Apodidae - à cette faune de Burgess, qu'il divise en groupes formant trois branches divergentes.

Walcott était en accord avec la théorie darwinienne de l'artefact : dans les temps précambriens, de vastes et profonds océans existaient à l'emplacement actuel de nos continents. II n'y eut quasiment pas de sédiments accumulés au fond de ces eaux. Les continents proviendraient des régions du globe n'ayant accumulé aucune strate durant le Précambrien. Par contre, les régions où l'eau était peu profonde et qui ont accumulé des sédiments précambriens, représentent le fond des océans actuels. Ses préjugés l'empêchaient d'établir objectivement un arbre reflétant la réalité : une grande disparité à la base, suivie d'un élagage par la suite. C'est ce que Stephen Jay Gould appelle la pratique du " chausse-pied ".

C'est sur la théorie de l'artefact que Walcott conçut sa vision de l'histoire de la vie et de la géologie du Cambrien.

Échec de Walcott

II fut poussé à la pratique du " chausse-pied " par les plus intimes de ses convictions. II avait appliqué à Burgess sa vision bien arrêtée de l'évolution, et par conséquent, n'en tira aucune nouvelle appréhension sur l'histoire de la vie.

Le " chausse-pied " avait été à l'origine de la préservation de l'iconographie traditionnelle, du cône de croissance, et de sa vision du progrès. Et de ce fait, il ne tint pas compte des données du Schiste de Burgess. En plus de ces préconceptions très puissantes, on peut aussi évoquer le fait que Walcott n'avait pas réellement le temps d'analyser à fond les cinq spécimens de Burgess. Les tâches administratives en sont la cause car elles prédominèrent sur les tâches scientifiques. Ainsi, durant les quinze dernières années de sa vie, il publia des monographies sur les éponges et les algues de Burgess, mais rien sur les animaux complexes de la faune fossile.

Par ailleurs, on a pu déceler dans toute sa correspondance, un sentiment constant de culpabilité pour n'avoir pas pu étudier les fossiles jusque là, et sa joie anticipée de pouvoir le faire dans le futur, mais il mourut avant d'en avoir eu le temps.

Troisième diagramme de Walcott

Conclusion

Dans la mesure où Walcott n'avait pu étudier soigneusement les fossiles de Burgess, il fut contraint à une interprétation non profonde, non réfléchie, dictée par ses propres convictions. Il ne tint pas compte de l'anatomie étrange de ces fossiles car il les a envisagés dans le cadre d'une évolution bien établie, préconçue et " conventionnelle ".
Remarque : ce qui est paradoxal, c'est que du temps où Walcott vendait sa collection de fossiles à Agassiz (qui mit au point pour la première fois des appendices de Trilobites), il reprochait à ce dernier de ne pas avoir tenu compte de la structure tridimensionnelle et des pattes logées sous la carapace. Et quelques années plus tard, l'échec de Walcott provint du fait qu'il considéra les fossiles de Burgess comme des feuilles plates.
Whittington parviendra à une réinterprétation de ces fossiles par prise de conscience de leur structure tridimensionnelle.

 

2 - La réinterprétation du Schiste de Burness

Introduction

La réinterprétation du Schiste de Burgess par Whittington débute en 1971 par une monographie sur Marrella. Whittington, méticuleux et conservateur, rigoureux en paléontologie, voulut éviter toute spéculation ; ainsi il ne dévoila sa nouvelle vision que très timidement dans le " Philosophical Transactions of the Royal Society " de Londres, le plus vieux journal scientifique de la langue anglaise.

II ne souhaitait pas révolutionner le monde intellectuel, mais décrire les espèces de Burgess en rejetant l'idée préconçue selon laquelle les fossiles à corps mou se présentaient sous forme de minces pellicules de carbone à la surface des roches. Malgré l'aplatissement de ces espèces sans parties dures, par les masses d'eau et de sédiments accumulés, Whittington leur envisagea une structure tridimensionnelle.

Reconstitution tridimensionnelle de Sidneyia
par les techniques de dissection

La réinterprétation nécessita des méthodes élaborées. Le microscope en lumière ordinaire et l'appareil photo furent utilisés par Walcott. Et celui-ci, par manque de temps, ne sut pas analyser les spécimens selon une architecture tridimensionnelle, et les traita donc comme de vulgaires feuillets aplatis. L'ingéniosité de Whittington résida dans sa mise au point d'une technique permettant l'étude anatomique de ces espèces : contrairement à Walcott qui se référait à des photographies, Whittington préconisa le dessin détaillé grâce à la chambre claire (jeu de miroirs projetant l'image de l'objet sur une surface plane), montée sur un périscope qui permettait le dessin de l'animal sans quitter l'oculaire.

Les techniques d'observation de Whittington utilisent l'excavation et la dissection : les fossiles n'étant pas aplatis dans un seul plan de couche géologique, mais dans des directions variées, il est possible de disséquer l'animal avec des petits ciseaux et une très petite foreuse. On retire ainsi les couches supérieurs de l'animal afin de révéler ses parties internes. Sidneyia est un exemple de reconstruction tridimensionnelle de l'animal entier. De plus, la technique consiste à tirer profit de nombreuses observation d'orientations inhabituelles, l'orientation " habituelle " étant l'animal à plat, appendices étalés sur les côtés.

1971 . Marrella jette les premiers doutes

Marrella est l'organisme le plus courant du Schiste de Burgess : 12 000 spécimens ont été amassés par Walcott et 800 par Whittington. C'est un petit animal de 2,5 à 19 millimètres de long.

Ce fut le premier organisme que Walcott a trouvé et dessiné avec une description formelle en 1912. Il le rangea parmi les Arthropodes. II existe aujourd'hui trois sous-classes d'Arthropodes : les Uniramés, comme les Insectes, les Chélicérates, comme les Araignées, et les Crustacés. II y a aussi un quatrième groupe, les Trilobites, qui se sont éteints à la fin de l'ère primaire. Walcott savait que ce " crabe aux dentelles ", tel qu'il l'avait surnommé, n'était pas un Trilobite, mais le classifia tout de même dans la sous-classe des Trilobites, dans un nouvel ordre, selon ses préjugés.

Whittington ne put pas placer ces organismes dans les groupes taxinomiques habituels. En 1959, Leif Størmer avait eu les premiers doutes concernant la classification de Walcott. II avait reclassé Marrella dans le groupe des Trilobitoïdes, en ouvrant une nouvelle sous-classe des " Marrellomorphes ". Mais Whittington, expert en Trilobites, s'aperçut que la forme de Marrella différait de celle des Trilobites dont le segment extrême est généralement ovale et est divisé en trois sections fondamentales : le céphalon (tête), le thorax (corps) et le pygdium (queue). De plus, il nota une différence entre les appendices de Marrella et celles des Trilobites, bien que la structure fondamentale était analogue; la patte locomotrice de Marrella possède six segments, et ses épines terminales ont un ou deux segments de moins que les Trilobites standards. D'autre part, le rameau porteur de filaments branchiaux était différemment construit.

Marrella possède un bouclier céphalique, caractéristique des Trilobites. C'est le détail qui motiva Walcott pour le ranger parmi ceux-ci. Toutefois, Whittington n'observa sur le bouclier céphalique de Marrella que deux paires d'appendices en position pré-orale : une paire d'antennes longues et segmentées (antennes de Walcott), et une deuxième paire d'antennes plus courtes et plus massives (mandibules de Walcott), segmentées et certains de ces segments recouverts de cire. II ne trouva aucun appendice post-oral sur la partie céphalique, mais on pouvait interpréter de façon diverse ces appendices, d'autant plus qu'il n'était pas possible de repérer le point crucial d'attachement des appendices de la tête sur le bouclier céphalique. De plus, les pattes ne ressemblaient pas à celles des Trilobites. Alors, où ranger Marella ? C'était certes un Arthropode, mais aucun groupe ne semblait convenir.

Toutes ces données lui firent penser que Marrella ne pouvait pas être rangé dans une classe d'Arthropodes préexistante, c'était un " Arthropode unique en son genre ". Et Marella fut le point de départ d'une révolution tranquille, de toute une série d'études d'animaux inclassables, et d'une révision de toute l'histoire de la vie.

1975: Opabinia : nouvel embranchement

Opabinia, avec sa trompe frontale terminée par une pince,
ses cinq paires d'yeux, ses branchies sur le dessus du corps,
sa queue en trois segments

Contrairement à Marella, Opabinia est une espèce rare existant en une dizaine d'exemplaires. II fut classé par Walcott parmi les Arthropodes, comme un crustacé branchiopode. Whittington commença son étude sans mettre en doute son statut d'Arthropode. II allait " connaître la surprise de sa vie ".

Long d'environ 8 centimètres, il présente une curieuse apparence et une trompe frontale étrange. Diverses descriptions en ont été faites mais les auteurs le classifiaient toujours parmi un groupe préexistant d'Arthropodes. Walcott mit Opabinia en tête de sa classification, car il estimait que son corps allongé avec des segments dépourvus d'appendices complexes, représentait un ancêtre de type " annélide ", vers segmentés comprenant les vers de terre et les vers marins polychètes.

Les Annélides représentent pour Walcott un groupe proche des Arthropodes. Pour le traditionaliste, les fossiles de Burgess étant anciens, ils devaient être primitifs. Ce devaient être des précurseurs de plusieurs classes, d'embranchements à la fois. Opabinia serait l'ancêtre commun des Arthropodes et des Annélides, car il considère que les appendices sur les segments étaient des rameaux branchiaux d'appendices biramés ancestraux.

Whittington, grâce à sa nouvelle technique, disséqua la carapace et chercha des appendices articulés du corps et leur point d'attache, ainsi que le bouclier céphalique afin d'analyser les appendices de la tête, comme aurait dû en posséder un Arthropode. Mais il ne trouva rien en dessous de la carapace. Opabinia était différent des Arthropodes et de tout autre modèle déjà connu, avec ses cinq yeux répartis en deux paires pédonculées et un cinquième oeil isolé (probablement non pédonculé) situé sur la ligne médiane ; sa trompe frontale, qui ne résulte pas de la fusion de deux antennes (ce qui aurait été compatible avec un modèle d'Arthropode), fixée en position frontale intérieure sur la tête et pointe vers l'avant, organe flexible formant une espèce de pince à son extrémité, qui devait servir à saisir les aliments et les amener à sa bouche par le recourbement de la trompe. Son appareil digestif est un simple tube au centre de l'animal sur la plus grande partie du corps, en forme de U au niveau de la tête et bouche dirigée vers l'arrière. La partie principale du tronc est formée de quinze segments avec chacun, une paire de lobes latéraux de chaque côté de l'axe central ; ces lobes se recouvrent et sont dirigés vers le bas et l'extérieur. Chaque lobe, sauf le premier, porte à sa surface dorsale une branchie en forme de palette, attachée à sa base. Les trois derniers segments du tronc forment une " queue " constituée de trois paires de minces lames lobées dirigées vers le haut et l'extérieur.

Un si étrange animal n'était pas classable, à l'instar de Marrella. Mais ce dernier ne formait qu'un groupe unique, " orphelin ", parmi les Arthropodes. Avec Opabinia, la réinterprétation touchait un autre niveau de l'arbre évolutif. Pour ce seul genre, il fallait ouvrir un nouvel embranchement, le plus bas niveau dans la classification des espèces !

Le " chausse-pied " de Walcott était brisé ! Opabinia est certainement l'organisme clef du Schiste de Burgess. II ne ressemble à aucun animal vivant ou ayant vécu sur Terre depuis le Cambrien. II restera l'une des grandes pièces de la connaissance humaine, conduisant à une révision fondamentale de l'histoire de la vie.

La classification d'un moustique serait par exemple : embranchement : Arthropode, sous-embranchement : Mandibulate, classe : Insecte, sous-classe : Ptérygote, superordre : Mécoptéroïde, ordre : Diptère, sous-ordre : Nématocère, famille : Culicidé, genre : Culex (en latin Moustique), espèce : Culex pipens (qui pique). L'espèce est le plus haut niveau de classification, et l'embranchement, le plus bas. L'embranchement regroupe les espèces ayant le même plan d'organisation anatomique.

 

1975 - 1977 : une moisson de nouveaux embranchements

Opabinia allait être le premier d'une longue série de fossiles inclassables, pour lesquels il fallait ouvrir de nouveaux embranchements pour pouvoir les classifier. Ils n'appartenaient en effet à aucun groupe d'animaux modernes, ayant complètement disparu à la fin du Cambrien. Ces étranges animaux ont été décrit pour la plupart par Simon Conway Morris, un thésard dont le mentor s'appelait Harry Whittington.

Nectocaris

II découvrit cinq animaux très bizarres dont l'énigmatique Nectocaris, que Walcott ne connaissait pas. La tête de cet animal ressemble beaucoup à celle d'un Arthropode. Elle porte une paire d'yeux pédonculés, de courts appendices dirigés vers l'avant et un bouclier céphalique aplati. Mais à part la tête, il n'évoque en rien un Arthropode. Son corps est segmenté, à la manière des chordés, et ne porte aucun appendice articulé, ce qui est pourtant le caractère clef des Arthropodes. Les nageoires bordent tout le long de son corps, au-dessus et au-dessous, ce qui est une caractéristique propre aux chordés primitifs. Nectocaris est donc un être chimérique, mi-Arthropode, mi-chordé, qu'il est impossible d'intégrer dans les groupes actuels. À lui seul, il forme un nouvel embranchement, unique.

 

L'étrange Dinomischus

II fit d'autres découvertes tout aussi étonnantes : Dinomischus, repéré par Walcott, mais pas interprété. À lui tout seul, il forme un grand type d'organisation anatomique. II est symétrique, caliciforme et possède une longue tige terminée par un crampon bulbeux. II porte des lames allongées au bord du calice. Le plus étonnant est son appareil digestif très simple : en forme de U, les deux extrémités sont côte à côte au fond du calice. L'estomac est large et interne. Morris ne put le classer, lui non plus : " Dinomischus […] appartient probablement à un embranchement éteint ".

L'animal le plus étrange qu'il ait découvert est Hallucigenia. II fut classé par Walcott comme un ver et par Morris comme un être appartenant à un embranchement unique. En fait, il semble aujourd'hui qu'il s'agit d'une erreur (voir le chapitre suivant). On ne peut pas toujours avoir raison. II n'en reste pas moins que la plupart des fossiles décrits durant cette période n'appartiennent à aucun embranchement moderne.

 

1977 - 1988 : la confirmation

Cette saison sera marquée par le reclassement de nombreux fossiles, notamment parmi des Arthropodes, mais uniques en leur genre. Naraoia est un exemple de trilobite à corps mou, pris par erreur pour un crustacé par Walcott. Ceci est plus important qu'un simple changement de groupe : cela démontre que le mécanisme de disparité anatomique maximale au départ s'applique à tous les niveaux, non seulement au niveau des embranchements, ce qu'amènent à penser les animaux inclassables comme Opabinia, mais aussi au sein même des embranchements. II en est de même pour Sidneyia, réinterprété par Bruton, qui est en fait un Arthropode, mais unique en son genre : l'embranchement est connu, pas le groupe. C'est Whittington qui a révisé la plupart de ces Arthropodes uniques : il y en a une multitude.

Le prédateur Anomalocaris

Dernièrement, d'autres fossiles ont été réinterprétés, non sans mal. Citons par exemple Anomalocaris. II devait mesurer plus d'un demi mètre de long : c'est le plus gros des animaux de Burgess. Si gros que certaines de ses parties furent prises pour un animal à part entière. Sa bouche fut prise pour une méduse, et son corps pour un concombre de mer !

Whittington et Briggs mirent beaucoup de temps avant de résoudre l'énigme : il fallait rassembler les pièces d'un même puzzle.

3 - Nouveaux éclaircissements

De récents articles ont essayé de redonner au Schiste le goût d'une évolution classique : les arguments sont bien faibles.
Jeffrey Levinton est un modéré. Il enseigne l'écologie et l'Évolution à la faculté de New York. II ne remet pas en cause l'explosion de la vie au Cambrien (en fait, ce phénomène, exceptionnel et unique, n'est plus réellement mis en doute aujourd'hui). Toutefois, il pense que la faune de Burgess n'est pas aussi diverse que le pense Stephen Jay Gould. II adopte d'ailleurs une position plus modérée, accordant au hasard un rôle moins important. Cependant, il reconnaît que le rythme de l'évolution peut être chaotique et non graduel. II envisage des périodes de stabilité entrecoupées par des périodes de fluctuation rapide, mais sur une échelle des temps extrêmement longue, la vitesse de l'évolution paraît beaucoup plus lente qu'elle ne l'est réellement.

Louis de Bonis, paléontologue à l'Université de Poitiers, a signé un article où il rapporte une erreur amusante.

En haut, Hallucigenia tel qu'il a été réinterprété par Conway Morris.
En bas, la nouvelle interprétation: il a été retourné et on peut le rapprocher du groupe actuel des Onychophores

Hallucigenia, dont le nom souligne à quel point son aspect est bizarre, fut considéré par Conway Morris comme un animal appartenant à un embranchement inconnu (alors que Walcott l'avait classé parmi les polychètes, vers segmentés équivalents marins de nos vers de terre). En réalité, ni Morris ni Walcott n'ont raison. On a trouvé des spécimens de cet animal en Chine, et une nouvelle étude permet de ranger Hallucigenia parmi les Onychophores (embranchement distinct que certains auteurs regroupent avec les Arthropodes). II suffit de retourner Hallucigenia !

II faut dire qu'il était difficile de déterminer le haut du bas, et même l'avant de l'arrière.

Cet aspect est intéressant : on a retrouvé les spécimens de Burgess en Chine, ce qui signifie que cette faune est d'extension mondiale, et non localisée dans une région du Canada.

On peut penser que certains animaux de Burgess, quand on les connaîtra mieux, seront remis dans des embranchements classiques. Néanmoins, (et heureusement !) la plupart des groupes de Burgess n'ont donné aucune descendance. Ceci a des implications très importantes sur toute l'histoire de la vie.

J. Levinton, Le Big-Bang de l'Évolution animale, Pour la Science, n°183, pp.56-63